Pourquoi les fresques collaboratives émergent : histoire, enjeux et limites
- laurencegilly
- 3 nov.
- 11 min de lecture
Les fresques sont partout. Et cela peut agacer.
La Fresque du Climat, la Fresque du Numérique, la Fresque de la Biodiversité… et la Fresque du Manager, que j'ai eu le plaisir de créer.
En quelques années, ce format d'atelier collaboratif s'est multiplié. Plus de 200 fresques existent aujourd'hui.
Certains y voient un effet de mode. D'autres sont enthousiastes. D'autres encore y voient un effet d'aubaine. Ce qui m'agace, c'est qu'on est en train de tomber dans le piège du "pour ou contre"... soit la survalorisation de ce type d'atelier, soit la dévalorisation. "Il y en a trop." "Tu devrais changer de nom" me dit-on souvent.
Tout est vrai à la fois, et j'y vois aussi autre chose.
Pour comprendre ce qui se joue dans les fresques collaboratives d'aujourd'hui, j'ai eu envie de remonter le fil de l'histoire. Non pas pour leur donner une légitimité factice, mais pour saisir la permanence d'un geste : celui qui rend visible, collectivement, nos manières de penser et d'agir.
Parce que ce geste-là, il ne date pas d'hier. Il traverse les siècles. Et s'il ressurgit aujourd'hui sous cette forme, ce n'est peut-être pas un hasard.
1. Les fresques collaboratives : forces et limites d'un format en intelligence collective
Les forces des fresques collaboratives
1. Elles donnent à voir la complexité et les liens causaux
Dans un monde où tout va trop vite, où l'information est fragmentée, les fresques offrent un temps pour ralentir et comprendre. Elles montrent les interdépendances, les boucles de rétroaction, les effets systémiques. Elles établissent des liens causaux : qu'est-ce qui provoque quoi ? Comment une action ici produit un effet là-bas ? Elles ne réduisent pas. Elles déploient.
2. Elles créent un espace de co-élaboration et de dialogue
Pas de sachant déroulant un powerpoint descendant. Mais un groupe qui construit ensemble, qui discute, qui confronte ses représentations. Il y a un rapport au verbal, au narratif : on raconte ce qu'on comprend, on met des mots sur ce qu'on voit, on élabore collectivement du sens. L'intelligence collective peut se déployer.
3. Le pouvoir de l'image
Les fresques utilisent la puissance de l'image pour ancrer la compréhension. Ce qu'on voit, on le retient mieux. Ce qu'on construit visuellement, on se l'approprie. L'image n'est pas seulement illustrative. Elle est structurante. Elle organise la pensée.
4. Une dimension humaniste et écologique
Les fresques portent souvent une attention à l'humain, aux systèmes vivants, aux équilibres. Qu'il s'agisse de climat, de biodiversité, de numérique ou de management, elles invitent à penser les impacts, les interdépendances, la durabilité. Elles ne sont pas neutres. Elles portent une éthique.
Les limites qu'on évite de dire
1. La qualité d'animation est déterminante
J'ai rencontré des fresques qui ont raté. Pourquoi ? Parce que l'animation était faible. Une fresque bien animée ouvre un espace de réflexivité. Une fresque mal animée peut enfermer, culpabiliser, ou simplement ennuyer. L'animation ne s'improvise pas. Il faut être un animateur expert, capable de tenir un cadre, de gérer les tensions, de faciliter l'intelligence collective.
2. Volontaires - ou pas ? Avec un projet - ou pas ? Avec de l'énergie - ou pas ?
Le contexte et l'intention des participants change tout.
Des participants volontaires, curieux, engagés : la fresque prend. Des participants contraints, sceptiques, sans énergie ou sans projet relié : la fresque peut décevoir ou créer de la résistance. Ce n'est pas la fresque qui est en cause. C'est le cadre, le moment et le projet dans lequel elle s'inscrit (ou pas).
3. C'est une graine, pas une solution
Une fresque ne remplace rien. Elle n'est ni une formation, ni un coaching. C'est une graine. Elle doit s'inscrire dans quelque chose de plus large : un accompagnement, une démarche, une transformation. Seule, elle ne suffit pas.
4. Le temps court
La plupart des fresques durent 2 à 3 heures. C'est à la fois une force (accessible, rapide) et une limite (on ne peut pas traiter en profondeur). On plante une graine, on ouvre une porte. Mais on ne peut pas accompagner la transformation dans ce temps-là. Une évidence certaines fois oubliée.
L'essor des fresques collaboratives
L'adhésion autour de ce type d'atelier n'est pas le fruit du hasard, mais la conséquence d'un contexte particulier et d'innovations pédagogiques.
2015 : naissance de la Fresque du Climat
En 2015, quelques mois après la COP21 à Paris, Cédric Ringenbach crée la Fresque du Climat.
L'intention : permettre à chacun de comprendre les mécanismes du changement climatique, non pas par un cours magistral, mais par un atelier collaboratif où les participants construisent eux-mêmes les liens de cause à effet. Le format est simple : des cartes illustrées, un groupe, une facilitation. En trois heures, les participants visualisent la complexité du système climatique et prennent conscience de l'ampleur du défi.
Le succès est immédiat. Et massif. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus d'un million de personnes formées depuis 2015, dont 300 000 en entreprise. 45 000 animateurs, dont 36 000 en France. Présence dans 66 pays.
Pourquoi ? Parce que la Fresque du Climat répond à un besoin profond : comprendre sans être submergé.
Penser par l'image et penser collectivement une complexité qui dépasse l'individu.
Un format qui se multiplie
Très vite, le format inspire.
D'autres fresques émergent, sur des sujets variés :
Fresque du Numérique
Fresque de la Biodiversité
Fresque Océane
Fresque des Frontières Planétaires
Et bien d'autres. Plus de 200 fresques existent aujourd'hui. (Pour les découvrir : Freskr).
En 2024, j'ai créé la Fresque du Manager, vecteur de performances durables® pour explorer la complexité du management contemporain, les tensions qu'il porte, et les équilibres qu'il nécessite.
Réappropriation d'un format pour répondre à des enjeux actuels
Ces fresques collaboratives ne sont bien évidemment pas des fresques au sens historique et artistique.
Elles n'ont ni la majesté ni la pérennité des œuvres peintes sur les murs de Sienne ou de Rome. Ce ne sont pas des œuvres artistiques, uniquement des productions éphémères.
Mais elles partagent une fonction commune : rendre visible une complexité pour mieux la penser ensemble.
Elles traduisent aussi une évolution du rapport au savoir, au pouvoir, et à l'action.
Les fresques collaboratives d'aujourd'hui ne cherchent pas à figer une vision dans la pierre. Elles créent un espace vivant de réflexivité collective.
Elles ne disent pas : "Voici la vérité."
Elles disent : "Voici la complexité. Voici l'important. Pensons-les ensemble."
Elles s'inscrivent dans un geste qui traverse l'histoire
L'image comme espace de pensée collective
Le mot "fresque" vient de l'italien al fresco, qui fait référence à la technique consistant à peindre sur un enduit encore frais. Les pigments s'y fixent en profondeur, créant une œuvre résistante au temps.
Mais les fresques n'ont jamais été qu'une question de technique. Elles ont toujours été un support de transmission.
Avant même les fresques romaines ou médiévales, il y a eu les premières images sur les parois des grottes. Lascaux, Chauvet… Les fresques préhistoriques racontaient les chasses, les animaux, les rituels. Dès l'origine, l'image collective a servi à ancrer et à transmettre ce qui comptait.
À travers les siècles, les fresques ont évolué : fresques romaines pour raconter le monde, fresques médiévales pour éduquer, influencer, dire quoi croire. Mais c'est à la Renaissance qu'elles deviennent de véritables outils de pensée politique.
Renaissance : la fresque comme outil de pensée politique
Avec la Renaissance, la fresque connaît un tournant majeur. Ce renouveau artistique, porté par la redécouverte de l'Antiquité et l'essor de l'humanisme, transforme la fresque en un medium de réflexion politique et sociale. La fresque n'impose pas seulement une vérité, certaines fresques proposent un espace de réflexion sur les effets du pouvoir.
Un exemple emblématique : la fresque monumentale d'Ambrogio Lorenzetti, réalisée en 1338 dans la Sala dei Nove du Palazzo Pubblico à Sienne. Sur 35 mètres de long et 3 mètres de haut, elle met en scène deux visions opposées du monde : Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement sur la ville et la campagne.
Cet exemple montre qu'une fresque peut aussi être analytique.
Elle montre les conséquences concrètes de choix politiques : d'un côté, une ville prospère, des champs cultivés, des citoyens en paix. De l'autre, la ruine, la violence, l'abandon.
Lorenzetti ne dit pas aux dirigeants comment gouverner. Il leur rend visible ce qui se joue. Il crée un espace de réflexion collective sur les effets du pouvoir.
Et c'est exactement ce geste-là qui m'intéresse.
Parce que cette fresque a traversé les siècles et continue d'inspirer. Julien Dossier, par exemple, en a produit une version contemporaine avec la Fresque de la Renaissance Écologique dessinée par Johann Bertrand d’Hy. Elle reprend la composition de la fresque originale et adapte les scènes de la Renaissance à notre époque en représentant un monde décarbonisé, résilient, inspirant à partir de 24 grandes composantes interdépendantes.
Ce qui traverse les siècles ? Une intuition commune : ce qu'on voit ensemble, on le comprend mieux.
Il était donc normal que cela s'applique également au management.
4. La Fresque du Manager : un atelier pour penser la complexité managériale ET l'éthique
Le management : un métier complexe et souvent mal accompagné
Le management m'occupe depuis 28 ans déjà. Le management est un domaine profondément complexe. Et pour cause : on manage des humains. Quoi de plus complexe qu'un être humain ?
Le management se situe à l'intersection de multiples tensions :
Performance économique / santé humaine
Décision / écoute
Autonomie / alignement
Court terme / durabilité
Exigence / bienveillance
Tenir / lâcher prise
Manager, c'est naviguer dans cette complexité à partir de compétences, d'un regard aiguisé par différents cadres de références et méthodes.
Et pourtant, le management est souvent enseigné comme s'il suffisait de suivre des étapes, d'appliquer des outils, de cocher des cases. Comme si on pouvait réduire la complexité humaine.
Quand j'ai eu l'occasion de tester une fresque collaborative, cela m'a immédiatement parlé : des images, de l'action, un processus. J'ai compris que le management, lui aussi, méritait d'être pensé via une Fresque, comme "outil" de transformation managériale.
C'est avec cette envie en tête que j'ai créé la Fresque du Manager.
Pas pour ajouter une fresque de plus à la liste.

Ce que propose la Fresque du Manager
La Fresque du Manager ne délivre pas une recette pour "bien manager". Elle ne remplace ni les formations, ni d'autres formes d'accompagnement.
Elle propose un espace pour visualiser, questionner et penser ensemble la complexité du rôle managérial. Cet atelier de diagnostic managérial permet de co-élaborer et projeter une vision du rôle du manager ancrée dans la réalité de chacun avec une attention qui porte une éthique via un regard sur les besoins fondamentaux.
1. Visualiser les leviers d'action
En une journée (format standard de 7 heures, précédée de 30 minutes de préchauffage en distanciel), les participants manipulent des cartes qui représentent différentes dimensions du management : la posture, les pratiques, les besoins fondamentaux des êtres humains, les contextes organisationnels.
Les participants construisent ensemble une cartographie autour de ce qui se joue réellement dans leur quotidien de manager. Les interdépendances apparaissent, les tensions aussi et les leviers d'action également.
2. Révéler les angles morts
Quand on est pris dans le quotidien managérial, certaines choses deviennent invisibles.
On ne voit plus :
Ce qu'on a arrêté de faire
Ce qu'on a délégué sans s'en rendre compte
Ce qu'on subit sans le remettre en question
Ce qu'on reproduit sans y croire vraiment
La Fresque du Manager rend visible des angles morts. Non pas pour culpabiliser. Mais pour créer un espace de lucidité. On voit ou on recentre le jeu de sa zone de pouvoir, différente selon les participants.
Exemples vécus en atelier :
Un manager réalise qu'il portait un projet d'entreprise sans avoir construit de projet d'équipe. Il pensait fédérer. Il dispersait. Un autre prend conscience qu'il répond à toutes les demandes sans questionner leur faisabilité ce qui pompe toute l'énergie (la sienne et celle de son équipe). Un dernier décide de réinterroger les rituels avec les équipes, pour impulser collectivement des temps à apprendre ensemble.
3. Mettre en lumière les interdépendances
Le management n'est pas un rôle isolé. Il s'inscrit dans un système.
Ce que je fais en tant que manager dépend de ce que :
mon organisation autorise ou empêche
mon équipe attend ou supporte
je suis capable de porter ou non
le contexte impose ou permet
La Fresque du Manager met en lumière ces interdépendances. Elle montre que manager, c'est une question de compétences individuelles ET AUSSI une question d'environnement, de soutien, de conditions d'exercice.
4. Renforcer la compréhension des besoins fondamentaux
C'est LA spécificité de la Fresque du Manager : le cœur du réacteur, comme j'aime à le dire.
Il ne s'agit pas de parler de "reconnaissance" ou d'"appartenance" comme des mots génériques et souvent vides de sens ou d'utiliser la pyramide de Maslow.
Il s'agit d'affiner ces besoins inter-dépendants.
Les participants repartent avec :
Une fiche synthétique sur les besoins fondamentaux des êtres humains pour clarifier de quoi parle t'on vraiment.
Un autodiagnostic individuel et collectif sur la satisfaction de ces besoins : pour eux-mêmes en tant que managers, et pour leurs équipes.
Ce travail nourrit des leviers profonds et donc une compréhension des mécanismes humains qui peut devenir ressource pour chercher de la motivation, comprendre les tensions, ajuster ses pratiques.
5. Créer un espace de dialogue exigeant
Ce qui se passe dans une Fresque du Manager, c'est un dialogue entre :
managers, qui découvrent qu'ils ne sont pas seuls à vivre certaines tensions.
ce qu'on croit devoir faire et ce qu'on peut réellement faire.
l'idéal managérial et la réalité du terrain.
Et ce dialogue-là, il ne peut avoir lieu que si l'espace est bien cadré, bien facilité, bien tenu.
La Fresque du Manager s'inscrit dans l'offre globale de HEP10, Académie de professionnalisation managériale. Elle n'est pas un atelier isolé : elle fait partie d'un écosystème d'accompagnement (coaching, co-développement, dispositifs sur mesure).
Un lien avec Lorenzetti : penser les équilibres et la gouvernance
Comme l'allégorie du Bon et du Mauvais Gouvernement de Lorenzetti mettait en scène les effets d'un gouvernement, la Fresque du Manager explore les effets des pratiques managériales sur les individus, les équipes et l'organisation à partir de la réalité projetée de chacun.
Elle ne dit pas : "Voici le bon management."
Elle dit : "Voici, selon vous, ce qui se joue pour vous et vos équipes. Voici les équilibres à tenir. À vous de choisir ce que vous voulez faire vivre."
Oser poser les enjeux sans prescrire.
Ce qu'une fresque du Manager révèle (et ce qu'elle ne remplace pas)
Ce n'est pas une animation "sympathique", un jeu de team-building, pas plus qu'une formation sur "les 7 clés du bon manager". C'est un diagnostic collectif, une respiration stratégique, un point d'ancrage pour l'accompagnement durable.
En ouvrant cet espace de dialogue, on fait émerger :
Les règles du jeu et la faisabilité des attentes
Les croyances sur le rôle du manager
Le niveau de compétences et les besoins en soutien
La fatigue, l'énergie, l'adhésion
Les sujets problématiques et la capacité à faire équipe
Les 5 conditions de réussite :
1. Une animation experte
2. Un cadre clair et sécurisé
3. Des participants volontaires
4. Un après
5. Un engagement du système
La Fresque du manager ne remplacera ni les formations en management ni le coaching de managers. Mais elle offre un outil complémentaire puissant pour poser un diagnostic partagé et initier une transformation durable.

Conclusion : les fresques collaboratives, un outil complémentaire durable
Les fresques collaboratives vont s'inscrire dans le paysage des modalités d'accompagnement, comme des ateliers parmi d'autres.
L'enjeu : ne pas les sur-évaluer, ne pas attendre trop ou tout, ne pas les utiliser comme une solution. Mais les considérer comme un outil complémentaire.
Elles prolongent une intuition millénaire : celle que l'image collective aide à penser, à transmettre, à transformer.
Et si elles émergent aujourd'hui sous cette forme, ce n'est pas un hasard.
C'est une réponse à un besoin profond, habituel, permanent : penser ensemble ce que nous ne pouvons plus penser seuls.
Cet article a été écrit par Laurence Gilly, fondatrice de HEP10 et créatrice de la Fresque du Manager, vecteur de performances durables® avec le soutien des modèles Claude 4.5 Sonnet, Perplexity. Il est le reflet de ses recherches, de ses réflexions et de ses opinions.
Sources
La boîte à outils des Fresques, Dominique Béhar, Ed. Dunod
Conservation-restauration des peintures murales : De l'Antiquité à nos jours Ed. 1, Reille-Taillefert, Geneviève, Ed. Eyrolles
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